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Flügel Klingen
Susanna Fritscher
2017

Les matériaux que j’utilise, plastiques, films, voiles ou fils, sont si volatiles qu’ils semblent se confondre avec le volume d’air qu’ils occupent.  Dans le jeu qu’ils instaurent dans et avec l’espace, la matérialité bascule et s’inverse : l’air a désormais une texture, une brillance, une qualité ; nous percevons son flux, son mouvement. Il acquiert une réalité palpable, modulable – une réalité presque visible – ou audible, dans mes œuvres les plus récentes qui peuvent se décrire en termes de vibration, d’oscillation, d’onde, de fréquence…

Mes premières œuvres sonores (2011-2015), performées ou enregistrées et diffusées dans les salles d’exposition, exploraient l’apparition de la voix, cherchaient à déceler la formation du son dans l’appareil vocal. Elles utilisaient des éléments de vocabulaire antérieur à la naissance de la parole : claquement de la langue et de la bouche, souffle, chuchotement, bégaiement ou rythme de la profération.

A partir de 2017, l’appareil de la voix s’émancipe de sa relation au corps et devient abstrait : il est reconstruit dans un dispositif composé d’éléments tubulaires gravitant auteur d’un moteur rotatif invisible. L’accélération du mouvement circulaire augmente la force du flux et met en vibration les colonnes d’air circulant à l’intérieur des tubes, produisant une fréquence fondamentale, quasi-imperceptible : gagnant en vitesse, cette fréquence se modifie, se complexifie et envahit l’espace. En même temps que le dispositif se dissout dans l’air et se dématérialise, il se transforme en son : le jeu des vibrations et des rythmes se change en expérience spatiale.  

Le projet pour Mondes flottants tel qu’il a été conçu pour le silo Saône de La Sucrière radicalise la relation entre dispositif sonore et espace. Les « hélices » sonores sont agrandies à l’échelle du lieu : elles se lèvent et se déploient en cercle de sept mètres dans lesquels s’actualise l’architecture de la salle : la forme tubulaire des éléments renvoie à la forme cylindrique du silo, leurs tracés circulaires reproduisent ses contours. «En même temps que le contour des tubes disparaît, la forme se dématérialise et se transforme en son : l’expérience spatiale est ramenée à un jeu de vibrations, soit, à nouveau, à l’expérience d’un souffle[1]. » 

Le dispositif sonore est ouvert, le son étant émis simultanément au centre de l’espace et à sa périphérie. Au fil de leur élévation, les éléments sonores activent l’ensemble du spectre de résonance de la salle, passant d’un écho « en rafale » en son milieu à un rayonnement plus diffus le long des murs. Ce que nous entendons, c’est la mesure de la salle : l’espace du silo se révèle à travers ses propriétés sonores, à travers le flux des vibrations et leur propagation.

Flügel, Klingen peut aussi se transformer en espace musical: le musicien joue en son milieu pendant que les hélices résonnent, se lèvent, s’ouvrent, se ferment autour de lui et l’enveloppent.

 

 

[1] Philippe-Alain Michaud, catalogue de l’exposition De l’air, de la lumière et du temps, p.17, musée d’Arts de Nantes, exposition du 23 juin au 8 octobre 2017.