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En Fr

Capture the eyes
Fabienne Fulchéri
2015

Lorsqu’on parcourt les textes écrits sur le travail de Susanna Fritscher, on est frappé par la récurrence et la permanence de certains termes qualifiant ses œuvres au fil des années. Il est question d’interventions « discrètes et aériennes », d’œuvres « sensibles, fragiles et immatérielles ». Ces mots, aussi intangibles soient-ils, permettent néanmoins une première évocation du travail de l’artiste qui n’engendre pas de hiatus au moment où l’on se retrouve face à l’oeuvre. Susanna Fritscher développe en effet une œuvre qui puise son langage dans des formes épurées, qui jouent avec la lumière et l’ambivalence de ses effets sur les matériaux, dans un subtil équilibre.

En étudiant d’un peu plus près le travail de Susanna Fritscher on perçoit toute la poésie de son travail mais au-delà de ce constat, ce qui apparaît et s’impose à celui qui fait l’expérience de l’œuvre à travers l’exposition c’est sa radicalité. La douceur qui émane des installations de Susanna Fritscher au premier abord est bien réelle mais elle n’en constitue pas moins un leurre si on considère qu’elles organisent à la fois l’espace et le déplacement du visiteur dans celui-ci.

Dans « Capture /the eyes » présenté dans les salles d’exposition de la Donation Albers-Honegger, des fils tendus viennent strier l’espace horizontalement barrant la circulation naturelle et obligeant le public à moduler son déplacement. L’ensemble est à la limite du visible, seule la lumière vient parfois révéler la présence de ces fils. Le regard se perd dans ce qui paraît être du vide et quand l’œil perçoit enfin la matérialité de l’œuvre, il est souvent dans un rapport de proximité inattendu.

Il est exact de dire que le travail de Susanna Fritscher dialogue avec l’architecture, celle-ci lui sert souvent de socle (au sens propre comme au figuré) et elle est révélée par lui mais est-il juste de dire que ses œuvres dialoguent avec le spectateur ? Ces dernières années, ses installations offrent un cadre immersif dans lequel la relation au corps devient un élément de tension de plus en plus prégnant. L’œuvre vient faire physiquement « écran ». Elle remplit l’espace, le rature, le souligne, ou l’irradie pour conduire le visiteur à se positionner, se placer, se déplacer.

Ainsi, qu’il s’agisse de peintures, d’installations, d’œuvres sonores ou de dessins, l’artiste nous invite toujours à aller voir au-delà, au-delà des apparences, au-delà de notre connaissance de l’autre et des choses. Pour y parvenir elle expérimente elle-aussi des terrains inconnus : des techniques inédites, des matériaux et des technologies de pointe. Mais là encore, ce travail d’atelier réalisé en amont pendant des mois et ces nombreux essais pour aboutir au résultat souhaité, demeurent cachés à l’œil du spectateur qui est juste inviter à jouir de ce qu’il voit, en se laissant capturer.